L'erreur

Essayer, rater, essayer encore, rater mieux
— Samuel Beckett.

Et si l'erreur était la clé de la réussite ? Il nous arrive souvent entant que professeur d’être confronté à des élèves, préférant ne pas rendre ou ne pas montrer leurs travaux plutôt que d’assumer la responsabilité d’une possible erreur. Sans compter les autres, ne concevant pas même la perspective du brouillon, ni celle de la correction, et entretenant l’idée chimérique, teintée de déni, que le premier jet, le premier essai pouvait être parfait. Quelque soit la variation, la peur est sensiblement la même : les erreurs sont perçues comme des spectres qui rodent sur les copies. Il y a celles qui paralysent et celles dont on préfère nier l’existence. C’est « la faute » tant redoutée par les élèves, et pénalisée par les professeurs. La faute qu’on souligne d’un rouge plus vif qu’elle.

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Le système classique a tendance à faire de l’erreur une obsession, il faut la faire disparaître à tout prix pour s’assurer qu’une leçon est acquise. Le principe repose sur l’idée qu’une règle doit être appliquée d’une certaine manière sans quoi on se trompe, puisque l’on n’a pas su procéder de la « bonne façon ». Le risque, au delà de la mauvaise note, est de se sentir mis à l’écart et d’être renvoyé à une permanente incapacité.

Et pourtant… Des célèbres brouillons de Flaubert à la divine Tarte Tatin, n’y a t-il pas de singulières vertus dans le fait de se tromper ? C’est une des perspectives que nous cherchons à transmettre aux élèves de nos écoles Internationales Montessori Esclaibes, et plutôt que la faute, ce sont les bénéfices et la richesse de l’erreur que nous tentons de souligner :

- L’erreur est un levier d’amélioration. Il va de soi que l’évaluation est nécessaire, nous savons que les enfants ont besoin de tester régulièrement leurs connaissances pour fixer les apprentissages, mais constater une erreur est une remarquable opportunité, quelque chose qu’il faut accueillir avec sérénité. Car c’est dans l’erreur que se fonde la capacité de réussite si tant est que l’on accepte de se corriger. L’erreur permet de solidifier ses acquis, de les comprendre, de savoir les apprivoiser, de ne pas agir au hasard, ou avec hésitation. L’erreur met en lumière une fragilité et permet de la consolider. Ainsi, dans la pédagogie Montessori, le matériel proposé aux enfants comporte toujours le contrôle de l'erreur. Dès lors, si l'enfant se trompe, il trouve seul son erreur et apprend à se corriger en restant autonome. Il comprend qu'il est naturel de se tromper et qu’il dispose en lui-même des outils pour progresser. Il est indispensable de conserver cette approche tout au long de la scolarité. L’erreur est un cadeau, car si elle nous renvoie à nos difficultés, elle éveille aussi notre faculté d’amélioration.

 - L’erreur est un levier de créativité. Le critique littéraire Roland Barthes disait « La littérature, c’est la rature ». Flaubert argumentait que Madame Bovary devait son originalité à un ensemble de corrections et que le bon mot ne survenait que dans l’erreur. Dans l’histoire des arts, et dans celle de la littérature, la faute est souvent source de génie. Elle est l’éclat dans l’habitude, le sursaut qui transforme un joli texte pour le parer de sublime, elle est l’audace de la différence qui fait d’une œuvre un travail unique. Elle permet d’explorer d’autres formes, de faire des découvertes. Car, sans l’erreur, nous risquons de nous figer tandis que le monde continuera ses perpétuelles métamorphoses. Elle est un moteur d’évolution et d’adaptation dans la vie intime comme dans la société, et de nombreux créatifs, parmi les plus ingénieux, savent que même le monde des affaires appartient à ceux qui savent tirer profit de l’erreur. Le tout est de savoir accepter l’erreur tout en minimisant les risques connus et attendus.

- L’erreur, c’est l’apprentissage de la temporalité. Beaucoup d’élèves, fruits d’une génération à la vivacité connectée, pensent que les choses se construisent dans l’immédiateté. Tout doit être rapide à l’image d’un flux numérique. Et si souvent l’efficacité est une qualité, l’erreur nous rappelle les bienfaits de la patience, de l’étape, car pour apprendre, il faut de l’effort et du temps. Comme l’artisanat, l’écriture, la résolution de problèmes est une technique. Aligner des lettres et des mots est un travail d’orfèvre, dont le savoir-faire s’acquière. Ce « petit à petit » est propre à chacun, dans l’intimité de ses erreurs, on comprend ce qui signifie grandir et mûrir. On apprend à se dépasser, à surmonter, à avoir l’audace d’essayer. Au sein de nos écoles Montessori, le seul risque à courir, c’est celui de la réussite. Et d’erreurs en erreurs, ce n’est pas la honte qui surgit, mais la confiance en soi, la confiance en la vie.

On fait reculer l’obscurité à force de vivre, de rire, de souffrir, d’aimer, de risquer, de se tromper, de perdre, de donner et de recommencer
— Simone de Beauvoir